Waouh, voici la 400ème chronique ! Ce chiffre rond m’a mis la pression ! De quel livre allais-je vous parler à cette occasion ? L’hésitation a été longue. J’ai finalement opté pour un classique, que j’ai redécouvert très récemment : L’Armée des ombres de Joseph Kessel. J’avais déjà vu le film avec Lino Ventura il y a de longues années, et il ne m’avait pas laissé une très bonne impression… À mon avis, j’étais trop jeune pour le comprendre. Alors, prochaine étape : le regarder de nouveau. En attendant, je vous parle donc du plus grand roman français sur la Résistance.
La 4e de couverture…
Londres, 1943, Joseph Kessel écrit L’Armée des ombres, le roman-symbole de la Résistance que l’auteur présente ainsi : » La France n’a plus de pain, de vin, de feu. Mais surtout elle n’a plus de lois. La désobéissance civique, la rébellion individuelle ou organisée sont devenues devoirs envers la patrie. (…) Jamais la France n’a fait guerre plus haute et plus belle que celle des caves où s’impriment ses journaux libres, des terrains nocturnes et des criques secrètes où elle reçoit ses amis libres et d’où partent ses enfants libres, des cellules de torture où malgré les tenailles, les épingles rougies au feu et les os broyés, des Français meurent en hommes libres. Tout ce qu’on va lire ici a été vécu par des gens de France. «

L’Armée des ombres, Jean-Pierre Melville, 1969
Mon avis…
Pour celles et ceux (surtout celles) qui suivent le blog régulièrement, vous avez noté que je suis en pleine préparation de cours pour des étudiants de licence… et je leur parle littérature de guerre. Et donc, dans le programme, j’ai casé quelques extraits de cet excellent roman qui se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale et qui nous raconte la Résistance de l’intérieur. Joseph Kessel, dans sa préface, revendique un récit sans « propagande » et sans « fiction », fidèle à la réalité, avec « des faits authentiques, éprouvés ». Pour Kessel, donc, la fiction équivaut à de la propagande et il la rejette explicitement, tout en l’utilisant pourtant tout aussi explicitement dans son œuvre. Officiellement, c’est pour éviter de dévoiler l’identité réelle des protagonistes, et ça se tient. Mais clairement, Kessel est un romancier, qu’il le veuille ou non. L’Armée des ombres apparaît tout de même, malgré sa nature romanesque, comme un condensé d’expériences de résistants et nous fait bel et bien pénétrer, nous lecteurs, au coeur de ce milieu si difficile à appréhender. Il y aurait tellement à dire sur ce roman, mais je ne suis pas là pour vous faire un cours, alors je vais juste vous dire ce que j’ai le plus aimé dans cette lecture.
« Je voulais tant dire et j’ai dit si peu. » (Joseph Kessel)

Joseph Kessel
Nous croyons tous savoir ce qu’a été la Résistance. Nous l’avons souvent idéalisée, aussi. Qui ne connaît pas le mythe de la France résistante, ce que l’historien français Henri Rousso a appelé le « résistancialisme » ? C’est-à-dire cette idée selon laquelle tous les Français auraient résisté, volontairement ou non, activement ou non, à l’Occupant. Ce résistancialisme, on ne le retrouve pas chez Kessel, qui est aussi l’auteur des paroles françaises du Chant des partisans. Il ne cherche pas à nous montrer une résistance purement idéalisée et mythifiée, même s’il met en scène ce type de discours. Il nous en montre au contraire la complexité, la versatilité aussi. Plus que le résistant, c’est l’humain qui est au coeur de ce roman. Il décrit une résistance qui imprègne absolument tous les milieux, qui n’est pas le seul fait de héros, mais il montre aussi les trahisons volontaires ou involontaires. Sous l’effet de la torture, aurions-nous protégé coûte que coûte nos camarades ? Nous serions tous et toutes tentés de dire « oui », n’est-ce pas ? Nous aimerions que ce soit le cas. Mais ce que nous apprend Kessel, c’est qu’on ne peut jamais savoir, tant que l’on n’est pas arrivé à cette extrémité.
« La résistance, elle est tous les hommes français qui ne veulent pas qu’on fasse à la France des yeux morts, des yeux vides. »

L’Armée des ombres, Jean-Pierre Melville, 1969
L’Armée des ombres est un roman absolument fascinant, qui suit des personnages à la fois attachants et antipathiques, en particulier Gerbier, le résistant « par excellence » qui fait passer son devoir avant tout autre sentiment. Mais il y a aussi les résistants qui ont la volonté de bien faire et non la force, ou encore ceux qui se découvrent une force insoupçonnée, mais aussi ceux que l’on ne s’attendrait jamais à voir résister… La richesse de tous ces personnages, dans un livre pourtant si court, est ce qui m’a le plus étonnée. Pour être très honnête, j’ai commencé cette lecture en me disant que je cherchais simplement des extraits intéressants à proposer à mes étudiants (et j’en ai trouvé), mais finalement je me suis totalement laissée entrainer, et je ne l’ai plus lâchée. C’est un livre à l’écriture simple, très accessible, mais qui est en même temps d’une profondeur psychologique impressionnante. J’avais peur de lire un simple hymne à la Résistance et, s’il est vrai que c’en est un, c’est aussi très lucide et clairvoyant. Kessel a un regard juste sur la situation, et s’il se laisse parfois entraîner par ses sentiments envers ces Résistants qu’il aime sincèrement, il n’en propose pas moins un récit documenté, précis et réaliste.
Carte d’identité du livre
Titre : L’Armée des ombres
Auteur : Joseph Kessel
Éditeur : Pocket
Date de parution : 11 mai 2001 [1943]
Ce n’est pas du tout mon sujet favoris, mais le thème vachement important.
Oui en effet et ce livre permet de l’aborder avec beaucoup de subtilité et de justesse !
Voilà un joli nombre. Félicitations à toi 🙂
Je trouve que tu as très bien choisi le roman pour cette chronique.
La résistance m’a toujours plu.
Je note en tout cas
Bisous ❤
Merci ❤ ah j’espère vraiment que tu auras l’occasion de le lire car je pense que c’est LE roman incontournable sur ce sujet ! 🙂
Bravo pour ce gros nombre ! 🙂 Je ne connais pas ce roman, mais je viens d’en terminer un qui commence sur un acte effroyable de la part de résistants justement. Il s’appelle « Céleste, la fille de Perline » de Jeanne-Marie Sauvage-Avit et sort chez Charleston le 17 septembre prochain. Il est touchant et véhicule de nombreuses idées féministes !
Merci Steph ! Ooooh mais tu m’intéresses là dis-donc ! Je me laisserais bien tenter dis donc… Tu as déjà publié ta chronique ? Si tu as aimé je vais peut-être me l’offrir 🙂
Sinon ce qui est intéressant avec L’armée des ombres, qui a été écrit en 1943 donc pendant la guerre, c’est qu’il montre vraiment tous les aspects de la résistance, y compris les actes parfois horribles commis par les résistants d’ailleurs. C’est passionnant.
Non pas encore, je la publie le 17 septembre, jour de sortie 😊 mais j’ai beaucoup aimé ! Il fait moins de 300 pages, en plus, donc vraiment équilibre 😊
Ça a l’air intéressant comme tout, un roman sur la guerre écrit pendant la guerre, c’est rare non ?
D’accord je serai au rendez-vous pour lire ça alors 😁
Oui c’est vraiment très rare en effet, et il a été publié en 1944 ce qui est aussi très tôt ! C’est un témoignage assez immédiat ! 🙂
Un point de vue à vif, c’est quand même autre chose qu’un regard avec du recul, c’est sur !
Je ne connais pas ce livre non plus, mais pourquoi pas? Un jour je pourrais bien le lire!
Je pense honnêtement qu’il fait partie des grands livres de la littérature française qu’il faut avoir lu un jour 🙂 et en plus il est vraiment très court !
J’ai vu le film, mais je ne me suis jamais penchée sur le roman, alors évidemment, avec un avis aussi élogieux, je ne peux qu’y penser sérieusement !
Ah et qu’est-ce que tu as pensé du film alors ? De mon côté ça remonte tellement et je pense que j’étais trop jeune pour l’apprécier pleinement… En tout cas je t’encourage vraiment à lire ce roman qui m’a beaucoup surprise !
Ça fait un moment aussi de mon côté, mais j’en ai de très bons souvenirs !
400 chroniques, bravooo!!
Je ne vais pas m’arrêter sur ce titre malheureusement…
Félicitations pour tes chroniques et ton blog !
Je ne cours pas après ce genre de livre… Mais pourquoi pas!
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