
Aujourd’hui, je m’attaque à un autre genre d’oeuvres : les romans graphiques ! J’ai décidé de passer à la loupe 300 de Frank Miller, mis en couleur par Lynn Varley. Cette oeuvre sur fond historique a tout pour faire l’objet d’une critique, objective bien sûr ! Pour cela, j’ai comparé plusieurs points à l’Histoire telle qu’elle s’est réellement passé, mais j’ai aussi analysé les qualités graphiques ainsi que scénaristiques… Bonne lecture, et que la curiosité soit avec vous !
Qu’est-ce que 300 ?
300 est une bande dessinée écrite et illustrée par Frank Miller et mise en couleur par Lynn Varley, publiée pour la première fois en 1998. Miller est également l’auteur de la série Sin City. La bande dessinée 300 a inspiré un film, réalisé par Zack Snyder et sorti en 2006, qui a connu un grand succès et dont la suite sortira courant 2014.
300 raconte la bataille des Thermopyles (The Hot Gates) menée par Léonidas, roi de Sparte. Il est accompagné de 300 spartiates constituant sa garde personnelle et combat l’armée perse qui envahit la Grèce sous les ordres du dieu-roi Xerxès. Sa tactique est de canaliser l’armée perse dans les Thermopyles, passage étroit qui permettra de réduire l’impact du nombre et de donner une chance à Sparte.
…Et à propos des sources utilisées par l’auteur ?
A la fin de la bande dessinée nous est proposée une liste de quatre ouvrages conseillés par les auteurs. Ils constituent leur inspiration bibliographique et leurs sources. Ces oeuvres sont les suivantes :
William Golding, The Hot Gates
Hérodote, Histoires
Ernle Bradford, Thermopylae : The Battle for the West
Victor Davis Hanson, The Western Way of War
Il s’agit d’essais et d’oeuvres d’historiens de différentes époques. Deux de ces oeuvres sont ciblées sur la bataille des Thermopyles : celle de William Golding et celle d’Ernle Bradford (qui sont respectivement anglais et américain). Une troisième est ciblée sur l’art de la guerre occidental (celle de Victor Davis Hanson, américain) et une quatrième est une source antique et particulièrement reconnue : Hérodote.
L’utilisation de sources historiques permet bien évidemment de rassurer le lecteur et le critique sur le récit qui est fait de l’évènement. Pourtant, nous pourrons voir un peu plus loin dans notre analyse de cette oeuvre que 300 n’est en rien une oeuvre historique fiable.
Quelle est la forme de l’oeuvre ?
À l’origine, 300 a été publié sous la forme d’une mini-série par les éditions Dark Horse Comics. La première partie a paru en mai 1998. L’oeuvre est divisée en 5 parties intitulées :
Honneur – Devoir – Gloire – Combat – Victoire
Pour l’honneur, ils refusent de se soumettre. Il est de leur devoir de partir au combat. Pour la gloire de Sparte, ils vont montrer leurs valeurs de spartiates. Leur rôle est de combattre, ils ont été formés pour cela depuis leur enfance. Leur seul but est la victoire : celle de Sparte, même si elle doit leur coûter la vie.
En 1999, la bande dessinée sera assemblée et publiée en une seule et même édition. Grâce à un format « à l’italienne », l’auteur illustre les batailles sur toute la largeur des pages et peut ainsi montrer la progression des 300 spartiates vers le combat qui les attend et vers la victoire.
[ Le jeune Léonidas, seul dans la nature pendant des mois, combat un loup avec pour seul arme un morceau de bois taillé… A son retour, il sera officiellement spartiate et roi… Cette anecdote est utilisée pour illustrer son absence de peur… ]
Quelle image ce roman graphique montre-t-il de Sparte et des Perses ?
300 montre les valeurs de Sparte et permet de découvrir une société basée sur une idéologie que l’on oppose très souvent à celle d’Athènes. Sparte est décrite comme totalitaire et intolérante. Ephialtès, que l’on découvre dans la troisième partie (Gloire) illustre cela. Il s’agit d’un être difforme, né à Sparte, qui a été chassé et mis à l’écart. Ses parents ont préféré fuir la ville plutôt que de l’éliminer. Cependant, malgré cette exclusion, il souhaite prouver sa valeur en rejoignant les spartiates et propose donc son aide à Léonidas. Celui-ci refuse qu’il rejoigne les 300, expliquant que la force des spartiates est leur unité, qu’ils forment un seul être et que chaque spartiate protège son voisin. Selon lui, Ephialtès ne peut pas assurer ce rôle et risquerait d’être le point faible qui provoquerait la défaite des spartiates.
Bien que l’esclavage soit couramment pratiqué à Sparte, le roi Léonidas et ses soldats refusent de se voir soumis à un envahisseur étranger et c’est leur principale motivation pour combattre Xerxès. Les Athéniens eux-mêmes ont réussi de se soumettre. Sparte se jugeant plus courageuse et plus digne qu’Athènes, Léonidas ne peut pas envisager de se soumettre tandis que les Athéniens combattent.
L’empire perse est vu comme un peuple fanatique, dévoué à un roi qui se considère comme un dieu. Xerxès est décrit comme un homme cruel, ayant à ses pieds une armée d’esclave. Il n’a aucune considération pour les hommes qui le servent tant son armée est importante. Cette oeuvre peut être vue comme une analyse des valeurs occidentales actuelles : on peut interpréter 300 comme la justification de moyens militaires radicaux pour préserver l’idéal spartiate (ou selon notre analyse : occidental) de liberté et de justice.
Cette oeuvre a pour principal intérêt de distraire et d’intéresser le lecteur à cette période de l’Histoire. Cependant, elle ne constitue pas une source historique utilisable pour un travail de recherche. En effet, le roman graphique 300 est inexact sur certains faits historiques actuellement admis concernant la société spartiate ou la bataille des Thermopyles.
L’auteur interprète librement les faits. En effet, il est peu probable historiquement que Léonidas ai combattu au côté des hoplites spartiates comme cela est décrit dans la bande dessinée. De plus, Frank
Miller ne met en valeur dans cette oeuvre que les spartiates, et on a tendance à oublier la présence d’autres soldats. Certes, il admet la présence des Arcadiens mais il ne fait pas état de la flotte grecque, ni millier de soldats de Phocide et des 700 soldats de Thespies. En effet, ces derniers ont combattu presque jusqu’au bout au côté des spartiates avant de se rendre à Xerxès.
Il y aussi des exagérations et des modifications apportés à certains éléments. Par exemple, Léonidas va consulter des éphores, que Frank Miller décrit comme des êtres cupides, consanguins et facilement corrompus. Dans la bande-dessinée, ce sont des devins siégeant en hauteur au-dessus de Sparte. Ils ont été payé par un envoyé perse afin d’offrir à Léonidas un oracle lui affirmant qu’il devait rester à Sparte et ne pas combattre l’armée de Xerxès. Cependant, dans la réalité, les éphores sont des magistrats grecs.
Frank Miller revendique cependant ce parti-pris. Il affirme ne jamais avoir voulu jouer un rôle d’historien mais plutôt celui du conteur d’une épopée fantastique. La bataille des Thermopyles est ici surtout le postulat de base d’un récit qu’on pourrait qualifier de « fantasy ». L’auteur avait déjà montré son goût pour la sauvagerie, la noirceur et les images clinquantes et sanglantes dans ses autres oeuvres phares : Sin City, Batman : The Dark Knight ou bien Ronin.
Cette oeuvre permet de mettre en avant des valeurs : le courage et l’honneur. Ainsi, Léonidas devient un héros qui a tiré des leçons de sa vie, qui n’a peur de rien car il est dans la force de l’âge. Les spartiates sont dessinés comme des colosses, nus ou vêtus de très minces morceaux de cuir, possédant des muscles saillants… Xerxès est couvert de piercings et d’or (regardez les images qui suivent et jugez par vous-même !)… Les spartiates sont peu nombreux mais si forts que les perses sont obligés de faire venir des éléphants pour espérer les faire plier… Miller mise tout sur une exagération qui devient caractéristique de son oeuvre.
Dans 300, on peut remarquer que Lynn Varley, qui est à la colorisation de la bande-dessinée, utilise un rouge très puissant qui représente la seule « vraie » couleur des planches. En effet, les titres des chapitres sont du même rouge que le sang (qui, lorsqu’il est présent, est représenté comme un véritable raz-de-marée) mais aussi du même rouge que les habits des spartiates. Cela confirme donc encore le parti-pris de l’auteur. Il n’y a pas de détails dans la bande-dessinée, que ce soit du point de vue des dessins ou de l’histoire. Le graphisme est parfois très sommaire, si bien que l’on arrive parfois à peine à lire les images et à comprendre ce qu’elles représentent. L’oeuvre se lit très rapidement puisqu’elle fait moins d’une centaine de pages.
Tous les portraits sont dressés rapidement (celui de Léonidas ou celui de Xerxès par exemple sont très sommaires et tiennent en quelques images et quelques paroles) et les actions sont assez caricaturales et concises : la vitesse de l’entrée en guerre de Sparte, etc. Malgré tout, Miller met en valeur les bons aspects des personnages et des évènements et donne un bon premier aperçu de l’histoire. Cette bande-dessinée peut donc être considérée comme une bonne introduction à l’histoire de la Grèce, de la guerre contre les perses, de Sparte et de la bataille des Thermopyles en particulier. Cependant, elle ne peut en aucun cas constituer un objet d’étude d’un grand intérêt pour la recherche historique.
La fin de l’oeuvre sonne comme une morale : l’action d’un petit nombre (à peine 300 spartiates) prêts à tout pour leur peuple et leur honneur, peut permettre à un territoire entier de prendre les armes et de remporter une victoire. Cette oeuvre est clairement épique. Léonidas est devenu grâce à Miller un leader charismatique dans un état de Sparte d’une brutalité parfois choquante.
« De la terre et de l’eau, tu en trouveras autant que tu le souhaites en bas. – Fou, tu es fou. Aucun homme — perse ou grec — aucun homme ne menace un messager. » – Léonidas déclenche la guerre entre Sparte et les perses en tuant le messager de Xerxès.
Ma note…
