L’interview en 5 questions de… Stéphane Malandrin

interview

C’est le retour de l’interview en 5 questions et, à cette occasion, je vous propose de faire connaissance avec Stéphane Malandrin ! Il est l’auteur d’un premier roman édité chez Seuil, Le Mangeur de livres, paru au début de cette année 2019. Il s’est prêté au jeu et a relevé ce défi haut la main. Il revient avec nous sur son roman et ses sources d’inspiration… Bonne lecture !

Stéphane Malandrin © Hermance Triay

Question1

Le mangeur de livres a pour personnage principal un jeune garçon lisboète, Adar Cardoso, que rien ne prédisposait à tenir, un jour, un livre entre ses mains… Et pourtant, il devient un mangeur de livres, au sens propre, et se nourrir de codex est alors pour lui une obligation, une exigence vitale. Dites-nous, Stéphane Malandrin, comment en êtes-vous venu à écrire ce roman profondément métaphorique ?

Étonnamment, je voulais écrire un autre roman, qui se passait au XIXe siècle, en Hongrie, et qui parlait de Beethoven et de sa musique. Ce livre-là, je l’ai écrit pendant dix ans, il a gonflé, gonflé, gonflé, et à l’intérieur de cette intrigue est née une autre histoire, celle du Mangeur de livres, qui se présentait comme une sorte de mythe originel pour mon narrateur. C’était d’abord quelque chose de petit, mais les personnages du Mangeur de livres se sont émancipés, puis ils ont pris le pouvoir sur mon livre et ils ont fini par être si fort que j’ai dû prendre cette étrange décision : jeter les 400 pages qui se passaient en Hongrie au XIXe et garder les 150 qui se passaient à Lisbonne au XVe siècle. J’ai eu du mal à me séparer de ces 400 pages, vous l’imaginez, mais finalement j’ai compris que c’était logique, c’est maintenant le livre que je dois écrire, et qui sera comme le prolongement du Mangeur de livres, mais dans une autre époque.

Question2

Avant d’être romancier, vous étiez cinéaste… Quels sont les liens entre l’écriture d’un roman et d’un film ? Comment avez-vous utilisé cette expérience et cette autre passion dans votre livre ?

Pour faire simple je dirai qu’un romancier est une équipe de production, de tournage, de montage et de diffusion à lui tout seul. Le romancier fait le scénario, mais il fait aussi les décors, il fait la lumière, il fait la caméra, il fait les acteurs, il fait les figurants, il fait le montage des scènes, il est tout cela à la fois, ses phrases sont tout cela, et il est seul maître à bord, il décide de tout et il fait ce qu’il veut, un peu comme le peintre face à son tableau, sauf que l’écrivain utilise des phrases pour peindre, pas de la peinture. Au cinéma, on n’est jamais seul ; ou alors le film n’existe pas. Ce sont des démarches totalement différentes. Un scénario est fait pour être tourné, c’est-à-dire jeté, trahi, dépassé, oublié. Un roman est fait pour être aimé.

Question3

L’intertexte rabelaisien est évident et revendiqué, et vous avez choisi de l’imprégner dans votre œuvre jusque dans le style, qui se caractérise par sa gouaille, sa verve et sa truculence. Pourquoi était- ce important à vos yeux ?

En pourchassant un roman qui voulait capturer l’énergie vitale de la musique de Beethoven, j’ai rencontré l’énergie vitale des livres de Rabelais, et je me suis dit que j’allais commencé par ça. Flaubert dit que Rabelais est « la grande fontaine des lettres françaises ». Nous avons besoin de Rabelais parce qu’il est libre, il est insolent, il est drôle, il est resté le plus moderne de tous les écrivains… de même qu’en musique nous avons besoin de Beethoven, de sa vitalité, de sa modernité, des risques qu’il a pris pour enfreindre les règles, les dépasser, réinventer la forme même de la musique classique.

Question4

Néanmoins, Rabelais n’est sûrement pas votre seule influence ! Je n’ai pas pu m’empêcher, en vous lisant, de penser notamment à un auteur qui me tient personnellement beaucoup à cœur : Umberto Eco… Pouvez-vous nous parler de ces autres écrivain.e.s dont vous avez dévoré les livres et qui ont donné naissance à cet étonnant roman ?

Oui Eco, bien sûr, il est là, magnifique, érudit, drôle, mystérieux. J’ai beaucoup étudié Baudolino parce que c’est une œuvre magique sur une période qu’il s’amuse à revisiter, jouant avec l’histoire et le lecteur, qui ne connaît pas forcément tout, mais qui comprend la bonne compagnie qui le guide. Eco a écrit des livres généreux, des livres qui sont des festins, et je voulais offrir mon propre festin à mes lecteurs, pour célébrer cet art que j’aime par-dessus tout, l’art d’écrire. Après, comme je voulais faire un livre-fête, un livre-joie, un livre qui déborde, j’ai cherché d’autres « débordants », comme Beethoven, et je me suis retrouvé en excellentes compagnies : celle de Laurence Sterne (Tristram Shandy), celle de Cervantès, celle du Flaubert de Bouvard et Pécuchet, celle de Borgès, dont l’imagination est sans limite. Tous ces auteurs sont toujours sur mon bureau, devant moi. Ce sont également des auteurs qui, d’une façon ou d’une autre, célèbrent le livre. L’amour du livre. Je conçois la littérature comme l’endroit où l’on peut célébrer son amour de la langue — et pour moi qui suis né en France, l’amour de la langue française. C’est la raison pour laquelle j’écris. Pour dire que j’aime le français, j’aime cette langue, c’est le seul pays où j’habite réellement.

Question5

Votre roman peut sembler ardu pour certains lecteurs… Que diriez-vous de leur adresser quelques mots, afin de leur faire découvrir votre livre autrement ? Voici un espace de libre expression pour vous.

Merci pour cette délicate attention. Je leur dirai qu’il faut livre mon livre comme on lit de la poésie, à haute voix, sans chercher forcément à comprendre le sens des mots désuets et oubliés que j’utilise, car ils ne sont pas importants, c’est leur sonorité qui compte, l’existence de sonorités qu’on a oublié et que j’ai voulu faire revivre le temps d’une lecture. J’ai voulu offrir un texte qui se déguste. J’espère qu’ils viendront à mon banquet.

Stéphane Malandrin © Hermance Triay

Comment refuser une telle invitation ? Je tiens à remercier Stéphane Malandrin d’avoir répondu à ces questions parfois difficiles. J’espère que cette interview en 5 questions vous aura permis de découvrir cet auteur très sympathique, à l’avenir littéraire prometteur !

Bonne lecture, ou bon appétit !

Vous pouvez retrouver ma chronique du Mangeur de livres en cliquant sur la couverture du roman, ci-dessous.

141454_couverture_Hres_0

 

#367 Le Mangeur de livres – Stéphane Malandrin

141454_couverture_Hres_0.jpg

Le résumé…

Adar Cardoso et Faustino da Silva, deux petits garnements de Lisbonne, rois de la bêtise, spécialistes ès rapines de pâtés, tripailles et saucisses, sont attrapés par un curé qui les enferme dans la crypte de son église et se promet de les éduquer à coups de claques. Nous sommes en 1488, juste avant la diffusion de l’imprimerie dans la péninsule Ibérique. Adar trouve un vieux codex écrit sur le plus fin vélin et, se voyant mourir de faim, le mange en entier. Le livre était empoisonné : voilà l’enfant condamné à hanter les bibliothèques de la ville à la recherche d’autres précieux codex. Il n’aura de cesse de les mettre en charpie et de les dévorer, devenant ainsi le Mangeur de livres, celui dont tout le monde veut la mort.

Résultat de recherche d'images pour "stéphane malandrin"

Mon avis…

Aujourd’hui, direction le Portugal, et plus précisément la ville de Lisbonne, au XVe siècle, peu après la naissance de l’imprimerie. Lecteur, lectrice, sois en ce jour guidé.e par l’auteur français Stéphane Malandrin, dont c’est le premier roman. Bien que novice en écriture, il se lance un défi colossal : celui d’écrire un conte à la façon de Rabelais. Et c’est bien un récit pantagruélique dans lequel il t’entraine ! Laisse-toi porter par une étrange folie philosophique, mais néanmoins bien ancrée dans le bas-corporel si souvent associé à notre auteur du XVIe s. Le langage est fleuri, faisant ainsi de Stéphane Malandrin un digne représentant de la langue verte ! L’amour de la littérature dégouline de ce roman particulièrement original. Il est gigantesque, à l’image de ce mangeur de livres qui grossit sans fin, à mesure qu’il assouvit sa faim en dévorant les plus précieux codex du monde.

« je suis mangeur de livres ; je les consomme comme du bon pain, j’en fais des tartines et des mouillettes, j’en fais des rondelles de saucisse, des tripailles, des pâtés, je suis passé maître dans l’art d’accommoder les livres, je suis le ventre couronné, le ventre fait roi, le digestif sacré, j’en ai des recettes à gogo, dans mes poches, dans mes valises, dans mes tiroirs, je les mets dans ma bouche, je les mastique, je les avale, je les digère, je les déguste, je les rote, je les défèque, j’en fais des phrases et d’autres livres qui sortent de moi comme des geysers, je suis un mangeur de livres et même « le » mangeur de livres, puisqu’à cette date, je suis le seul vrai Mangeur de livres par vice et réputation – et voici mon histoire. »

Si tu décides de t’emparer de ce livre, tu seras emporté.e dans un récit au rythme haletant, qui ne te laissera aucun repos. Si tu es accro aux livres, tu reconnaîtras sûrement une part de toi dans ce personnage, Adar, qui se laisse aller à la dévoration de tous les ouvrages qui croisent son chemin. N’as-tu jamais, toi-même, dévoré un livre ? Certainement pas comme lui, bien sûr, mais je suis certaine que cela t’es déjà arrivé ! Stéphane Malandrin a pris l’expression au pied de la lettre et s’en amuse. Cette fable rocambolesque est plaisante, bien que parfois un peu confuse, peut-être un peu trop rapide aussi, et saturée de bons mots. Nulle légèreté ici, mais une orgie littéraire. Si tu aimes les récits farfelus et rabelaisiens, tu ne pourras néanmoins qu’apprécier ce roman.

« Est-ce ma faute si le livre était empoisonné ? Est-ce ma faute s’il était livre-ver-solitaire, livre-bactérie qui se développe comme la levure dans son pain, livre-lombric qui contamine et qui croît comme le virus dans sa narine, livre-crabe qui se déverse dans le sang comme un cancer ? »

gargantua

Gargantua

Le style de Stéphane Malandrin n’est pas sans rappeler, outre celui de Rabelais, le style de Jean Teulé. Sans filtre aucun, marqué par l’excès et la gouaille, Le Mangeur de livres est un livre très certainement atypique. Rares sont les auteurs qui se permettent une telle verve et, après tout, cela est bien rafraîchissant ! Que l’on aime ou que l’on n’aime pas, ce roman ne peut pas laisser indifférent. Stéphane Malandrin fait son entrée avec brio et fracas sur les tables des librairies, et je lui souhaite la bienvenue ! Dédié par ailleurs aux professionnels du livre, ce récit est une véritable déclaration d’amour (truculente) à la lecture et à la littérature. Bref, tu l’auras compris, c’est un petit phénomène que ce Mangeur de livres, qui entend parler de notre passion d’une façon bien joyeuse et non-conformiste. Et si tu le dévorais, toi aussi ?

Carte d’identité du livre

Titre : Le Mangeur de livres
Auteur : Stéphane Malandrin
Éditeur : Seuil
Date de parution : 03 janvier 2019

4 étoiles

#340 Qui a tué mon père – Édouard Louis

edouardlouis

Le résumé…

« L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique. »

Mon avis…

J’ai enfin lu le très court récit d’Édouard Louis, intitulé Qui a tué mon père. Dans ce texte autobiographique, l’auteur évoque la vie dans les pauvres villages de province, ses obstacles et ses difficultés, et établit un lien direct avec la politique. Il s’agit d’un livre engagé, qui décortique les processus qui ont mené son propre père à avoir l’existence qu’il a eue. Par le biais de la micro-histoire, Édouard Louis interroge la macro-histoire, introduit de la sociologie dans l’anecdote. Il explique les liens qui nous semblent parfois abstraits et invisibles et qui pourtant unissent étroitement notre vie quotidienne et la politique. Non, les décisions prises par ceux qui ont le pouvoir ne sont pas anodines. Elles ont un impact réel.

Qui a tué mon père n’est pas une question, mais une réponse. En lisant ce texte, je n’ai pas pu m’empêcher de penser au « J’accuse » de Zola. Il y a véritablement une dimension non seulement polémique mais aussi et surtout accusatrice. Édouard Louis ne tait aucun nom. Il ne s’attaque pas vaguement aux « politiques », aux « puissants », ou autres « gouvernements ». Il nomme : Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Macron, Manuel Valls, Myriam El Khomri… Ils y passent tous, et à raison.

Dans ses descriptions de la vie à la campagne, j’ai reconnu le village dans lequel j’ai grandi. D’ailleurs, Édouard Louis et moi venons de la même région, du même « coin », et son expérience semble avoir rencontré la mienne, dans une certaine mesure. Dans sa colère, j’ai aussi retrouvé la mienne. Dans sa vérité, j’ai lu celle dont j’ai toujours eu conscience sans forcément oser la dire au plus grand nombre. Tout comme dans sa volonté d’apostropher le monde, de dénoncer, d’ouvrir des yeux et des oreilles, de crier sur tous les toits ce que beaucoup se refusent à voir et à dire, j’ai retrouvé ma soif de voir les choses changer. Il s’agit d’un texte fort, puissant, agressif. Il déplait à certains, sans surprise. Mais il est une parole qu’il ne faut plus taire, une réalité qu’il faut cesser d’ignorer.

Carte d’identité du livre

Titre : Qui a tué mon père
Autrice : Édouard Louis
Éditeur : Seuil
Date de parution : 03 mai 2018

5 étoiles

#338 Frère d’âme – David Diop

frère

Le résumé…

Un matin de la Grande Guerre, le capitaine Armand siffle l’attaque contre l’ennemi allemand. Les soldats s’élancent. Dans leurs rangs, Alfa Ndiaye et Mademba Diop, deux tirailleurs sénégalais parmi tous ceux qui se battent alors sous le drapeau français. Quelques mètres après avoir jailli de la tranchée, Mademba tombe, blessé à mort, sous les yeux d’Alfa, son ami d’enfance, son plus que frère. Alfa se retrouve seul dans la folie du grand massacre, sa raison s’enfuit. Lui, le paysan d’Afrique, va distribuer la mort sur cette terre sans nom. Détaché de tout, y compris de lui-même, il répand sa propre violence, sème l’effroi. Au point d’effrayer ses camarades. Son évacuation à l’Arrière est le prélude à une remémoration de son passé en Afrique, tout un monde à la fois perdu et ressuscité dont la convocation fait figure d’ultime et splendide résistance à la première boucherie de l’ère moderne.

Mon avis…

Frère d’âme faisait partie de ma wishlist de cette rentrée littéraire… Pourquoi ? D’abord, parce que c’est un roman qui parle de la Grande Guerre, sujet auquel je m’intéresse tout particulièrement. Ensuite, car il est ici question des tirailleurs sénégalais, et non de « n’importe quel soldat »… Cependant, je dois avouer que ce livre m’a réservé quelques surprises. Je m’attendais plutôt à un roman historique et ce n’est pas vraiment le cas ici. Ici, pas de faits à proprement parler. On est en réalité plongé dans les pensées d’Alfa, qui devient fou après la mort de son frère de cœur, ou plutôt son frère d’âme…

« Pendant que les autres s’étaient réfugiés dans les plaies béantes de la terre qu’on appelle les tranchées, moi je suis resté près de Mademba, allongé contre lui, ma main droite dans sa main gauche, à regarder le ciel bleu froid sillonné de métal. »

Pour venger sa mort, ou pour se faire pardonner son inaction lorsque Mademba lui a demandé d’abréger ses souffrances, Alfa devient un être redoutable et vient hanter les nuits des Allemands. Derrière lui, il sème torture et mort. La sauvagerie de la guerre l’a contaminé, il est devenu une bête féroce, guidé par un instinct macabre. Frère d’âme est un roman de la folie avant toute chose.

« Où suis-je ? Il me semble que je reviens de loin. Qui suis-je ? Je ne le sais pas encore. »

Ce roman ne permet aucunement d’appréhender la situation des tirailleurs sénégalais pendant cette guerre, mais il met en regard les traditions africaines, la culture sénégalaise, et la violence de la guerre. C’est un texte très poétique, qui nous plonge dans un esprit tortueux et agité. Le conflit s’incarne ici dans toute sa cruauté et son horreur.

« Cette histoire, comme toutes les histoires intéressantes, est une courte histoire pleine de sous-entendus malins. […] Pour être aperçue, l’histoire cachée sous l’histoire connue doit se dévoiler un tout petit peu. Si l’histoire cachée se cache trop derrière l’histoire connue, elle reste invisible. L’histoire cachée doit être là sans y être, elle doit se laisser deviner comme un habit moulant couleur jaune safran laisse deviner les belles formes d’une jeune fille. Elle doit transparaître. »

Le style peut parfois sembler un peu « lourd » car tout repose sur de multiples répétitions, parfois des expressions entières, à des intervalles très courts. Mais c’est justement cela qui donne la mesure de ce qu’il se déroule dans l’âme d’Alfa. Préparez-vous à un voyage littéraire qui sera loin d’être reposant…

Carte d’identité du livre

Titre : Frère d’âme
Auteur : David Diop
Éditeur : Seuil
Date de parution : 16 août 2018

5 étoiles

challenge rl

Ma wishlist de la rentrée littéraire – août 2018

rentrée littéraire

Et oui, nous entrons bientôt dans une saison délicieuse pour les lecteurs et lectrices de tous horizons… la rentrée littéraire ! Cette année, encore de belles découvertes en perspective. Pour ma part, j’ai déjà craqué sur quelques titres.

Voici ma wishlist pour cette rentrée littéraire d’automne 2018, en commençant par le mois d’août ! Maintenant, le porte-monnaie suivra-t-il ? J’en doute…

Parutions du 16 août 2018

Les cigognes sont éternelles – Alain Mabanckou (Seuil)

Résumé : À Pointe-Noire, dans le quartier Voungou, la vie suit son cours. Autour de la parcelle familiale où il habite avec Maman Pauline et Papa Roger, le jeune collégien Michel a une réputation de rêveur. Mais les tracas du quotidien (argent égaré, retards et distractions, humeur variable des parents, mesquineries des voisins) vont bientôt être emportés par le vent de l’Histoire. En ce mois de mars 1977 qui devrait marquer l’arrivée de la petite saison des pluies, le camarade président Marien Ngouabi est brutalement assassiné à Brazzaville. Et cela ne sera pas sans conséquences pour le jeune Michel, qui fera alors, entre autres, l’apprentissage du mensonge. Partant d’un univers familial, Alain Mabanckou élargit vite le cercle et nous fait entrer dans la grande fresque du colonialisme, de la décolonisation et des impasses du continent africain, dont le Congo est ici la métaphore puissante et douloureuse. Mêlant l’intimisme et la tragédie politique, il explore les nuances de l’âme humaine à travers le regard naïf d’un adolescent qui, d’un coup, apprend la vie et son prix.

Frère d’âme – David Diop (Seuil)

Résumé : Un matin de la Grande Guerre, le capitaine Armand siffle l’attaque contre l’ennemi allemand. Les soldats s’élancent. Dans leurs rangs, Alfa Ndiaye et Mademba Diop, deux tirailleurs sénégalais parmi tous ceux qui se battent alors sous le drapeau français. Quelques mètres après avoir jailli de la tranchée, Mademba tombe, blessé à mort, sous les yeux d’Alfa, son ami d’enfance, son plus que frère. Alfa se retrouve seul dans la folie du grand massacre, sa raison s’enfuit. Lui, le paysan d’Afrique, va distribuer la mort sur cette terre sans nom. Détaché de tout, y compris de lui-même, il répand sa propre violence, sème l’effroi. Au point d’effrayer ses camarades. Son évacuation à l’Arrière est le prélude à une remémoration de son passé en Afrique, tout un monde à la fois perdu et ressuscité dont la convocation fait figure d’ultime et splendide résistance à la première boucherie de l’ère moderne.

Les heures rouges – Leni Zumas (Presses de la Cité)

Résumé : États-Unis, demain. Avortement interdit, adoption et PMA pour les femmes seules sur le point de l’être aussi. Non loin de Salem, Oregon, dans un petit village de pêcheurs, cinq femmes voient leur destin se lier à l’aube de cette nouvelle ère. Ro, professeur célibataire de quarante-deux ans, tente de concevoir un enfant et d’écrire la biographie d’Eivor, exploratrice islandaise du XIXe siècle. Des enfants, Susan en a, mais elle est lasse de sa vie de mère au foyer – de son renoncement à une carrière d’avocate, des jours qui passent et se ressemblent. Mattie, la meilleure élève de Ro, n’a pas peur de l’avenir : elle sera scientifique. Par curiosité, elle se laisse déshabiller à l’arrière d’une voiture… Et Gin. Gin la guérisseuse, Gin au passé meurtri, Gin la marginale à laquelle les hommes font un procès en sorcellerie parce qu’elle a voulu aider les femmes.

La guérilla des animaux – Camille Brunel (Alma)

Résumé : Comment un jeune Français baudelairien devient-il fanatique de la cause animale ? C’est le sujet du premier roman de Camille Brunel qui démarre dans la jungle indienne lorsqu’Isaac tire à vue sur des braconniers, assassins d’une tigresse prête à accoucher. La colère d’Isaac est froide, ses idées argumentées. Un profil idéal aux yeux d’une association internationale qui le transforme en icône mondiale sponsorisée par Hollywood. Bientôt accompagné de Yumiko, son alter-ego féminin, Isaac court faire justice aux quatre coins du globe.

Parutions du 22 août 2018

Chien-loup – Serge Joncour (Flammarion)

Résumé : L’idée de passer tout l’été coupés du monde angoissait Franck mais enchantait Lise, alors Franck avait accepté, un peu à contrecoeur et beaucoup par amour, de louer dans le Lot cette maison absente de toutes les cartes et privée de tout réseau. L’annonce parlait d’un gîte perdu au milieu des collines, de calme et de paix. Mais pas du passé sanglant de cet endroit que personne n’habitait plus et qui avait abrité un dompteur allemand et ses fauves pendant la Première Guerre mondiale.
Et pas non plus de ce chien sans collier, chien ou loup, qui s’est imposé au couple dès le premier soir et qui semblait chercher un maître. En arrivant cet été-là, Franck croyait encore que la nature, qu’on avait apprivoisée aussi bien qu’un animal de compagnie, n’avait plus rien de sauvage ; il pensait que les guerres du passé, où les hommes s’entretuaient, avaient cédé la place à des guerres plus insidieuses, moins meurtrières.
Ça, c’était en arrivant. Serge Joncour raconte l’histoire, à un siècle de distance, d’un village du Lot, et c’est tout un passé peuplé de bêtes et anéanti par la guerre qu’il déterre, comme pour mieux éclairer notre monde contemporain. En mettant en scène un couple moderne aux prises avec la nature et confronté à la violence, il nous montre que la sauvagerie est toujours prête à surgir au coeur de nos existences civilisées, comme un chien-loup.

Tous les hommes désirent naturellement savoir – Nina Bouraoui (JC Lattès)

Résumé : Tous les hommes désirent naturellement savoir est l’histoire des nuits de ma jeunesse, de ses errances, de ses alliances et de ses déchirements. C’est l’histoire de mon désir qui est devenu une identité et un combat. J’avais dix-huit ans. J’étais une flèche lancée vers sa cible, que nul ne pouvait faire dévier de sa trajectoire. J’avais la fièvre. Quatre fois par semaine, je me rendais au Kat, un club réservé aux femmes, rue du Vieux-Colombier. Deux coeurs battaient alors, le mien et celui des années quatre-vingt. Je cherchais l’amour. J’y ai appris la violence et la soumission. Cette violence me reliait au pays de mon enfance et de mon adolescence, l’Algérie, ainsi qu’à sa poésie, à sa nature, sauvage, vierge, brutale. Ce livre est l’espace, sans limite, de ces deux territoires.

Le malheur du bas – Ines Bayard (Albin Michel)

Résumé : « Au coeur de la nuit, face au mur qu’elle regardait autrefois, bousculée par le plaisir, le malheur du bas lui apparaît telle la revanche du destin sur les vies jugées trop simples ». Dans ce premier roman suffoquant, Inès Bayard dissèque la vie conjugale d’une jeune femme à travers le prisme du viol. Un récit remarquablement dérangeant.

L’habitude des bêtes – Louise Tremblay (Delcourt)

Résumé :  « J’avais été heureux, comblé et odieux. Je le savais. En vieillissant, je m’en suis rendu compte, mais il était trop tard. Je n’avais pas su être bon. La bonté m’est venue après, je ne peux pas dire quand exactement. » C’est le jour sans doute où un vieil Indien lui a confié Dan, un chiot. Lorsque Benoît Lévesque est rentré à Montréal ce jour-là, il a fermé pour la vie son cabinet dentaire et les volets de son grand appartement. Ce n’est pas un endroit pour Dan, alors Benoît décide de s’installer pour de bon dans son chalet du Saguenay, au cœur du parc national. Il y mène une vie solitaire et tranquille, ponctuée par les visites de Rémi, un enfant du pays qui lui rend de menus services, et par la conversation de Mina, une vieille dame sage. Mais quand vient un nouvel automne, le fragile équilibre est rompu. Parce que Dan se fait vieux et qu’il est malade. Et parce qu’on a aperçu des loups sur le territoire des chasseurs, dans le parc. Leur présence menaçante réveille de vieilles querelles entre les clans, et la tension monte au village…Au-delà des rivalités, c’est à la nature, aux cycles de la vie et de la mort, et à leur propre destinée que devront faire face les personnages tellement humains de ce court roman au décor majestueux.

Parutions du 23 août

Le roman de Jeanne – Lidia Yuknavitch (Denoël)

Résumé : Anéantie par les excès de l’humanité et des guerres interminables, la Terre n’est plus que cendres et désolation. Seuls les plus riches survivent, forcés de s’adapter à des conditions apocalyptiques. Leurs corps se sont transformés, albinos, stériles, les survivants se voient désormais contraints de mourir le jour de leurs cinquante ans. Tous vivent dans la peur, sous le joug du sanguinaire Jean de Men. Christine Pizan a quarante-neuf ans. La date fatidique approche . Rebelle, artiste, elle adule le souvenir d’une héroïne, Jeanne, prétendument morte sur le bûcher. Jeanne serait la dernière à avoir osé s’opposer au tyran. En bravant les interdits et en racontant l’histoire de Jeanne, Christine parviendra-t-elle à faire sonner l’heure de la rébellion ?

Le bûcher – György Dragomán (Gallimard)

Résumé : La Roumanie vient tout juste de se libérer de son dictateur. Les portraits du camarade général ont été brûlés dans la cour de l’internat où Emma, treize ans, arrivée après la mort tragique de ses parents, cherche encore à s’orienter. Quand une inconnue se présente comme étant sa grand-mère, elle n’a d’autre choix que de la suivre dans sa ville natale. Cette femme étrange partage sa maison avec l’esprit de son mari défunt et pratique la sorcellerie. Mais Emma comprend vite qu’il y a d’autres raisons à l’accueil malveillant que lui réservent les habitants de la ville. Peu à peu, elle découvre les secrets de sa famille. Profondément traumatisée et compromise par l’histoire qu’a traversée son pays, sa grand-mère a utilisé les pouvoirs de la magie pour surmonter des décennies dominées par la peur, la manipulation et la terreur. Et c’est cette force-là qu’Emma tente à son tour de libérer en elle pour trouver sa place dans un monde de nouveau bouleversé.

Parutions du 30 août 2018

L’Ange de l’histoire – Rabih Alameddine (Escales)

Résumé : Le temps d’une nuit, dans la salle d’attente d’un hôpital psychiatrique, Jacob, poète d’origine yéménite, revient sur les événements qui ont marqué sa vie : son enfance dans un bordel égyptien, son adolescence sous l’égide d’un père fortuné, puis sa vie d’adulte homosexuel à San Francisco dans les années 1980, point culminant de l’épidémie du sida. Mais Jacob n’est pas seul : Satan et la Mort se livrent un duel et se disputent son âme, l’un le forçant à se remémorer son passé douloureux, l’autre le poussant à oublier et à renoncer à la vie. En dressant le portrait bouleversant et tout en finesse d’un homme hanté par les souvenirs, Rabih Alameddine livre un texte éblouissant d’érudition et d’imagination, imprégné à la fois d’humour, de violence et de tendresse. Surtout, il nous rappelle l’urgence et la nécessité de se confronter au passé et de ne pas céder à l’oubli.

Règles douloureuses – Kopano Matlwa (Le Serpent à Plumes)

Résumé : Nous sommes en 2015, en Afrique du Sud. Des années durant, Masechaba a souffert de douleurs chroniques liées à une endométriose. Le sang a forgé son caractère, non seulement il a fait d’elle une personne solitaire, presque craintive, mais il l’a aussi poussé à devenir médecin. Quand débute le roman, elle est interne dans un hôpital. Dans le flux ininterrompu des patients, elle s’interroge sur sa capacité à les aimer tous, à leur donner toutes ses forces, tout son dévouement. Elle doute souvent, à l’opposé de sa meilleure amie, son modèle qui bien souvent pourtant l’ignore, voire la rudoie, Nyasha. Nyasha est zimbabwéenne, or l’Afrique du Sud vit alors une époque de racisme brutal.
Un jour, après avoir été accusée par son amie de ne pas avoir pris assez soin d’un patient étranger blessé lors d’émeutes xénophobes, elle décide de publier une pétition demandant le retour à la tolérance et à des valeurs humanistes. En retour, elle sera violée par trois hommes, pour lui apprendre à rester à sa place.

Le complexe d’Hoffman – Colas Gutman (éditions de l’Olivier)

Résumé : « Le petit Hoffman, il vous dira rien de sa maman. Il dit qu’elle est morte mais quand tu vas chez elle, tu vois bien qu’elle est vivante. Il m’a choisi pour me raconter son histoire. Elle n’est franchement pas triste. Je suis Lakhdar CM1, et certains disent que je suis dix-lexique. Le petit Hoffman, il a reçu une lettre dans son école. Des lois anti-alsaciennes, qu’il n’a pas le droit de faire du sport, d’aller au square ou même aux toilettes. Le petit Hoffman, quand il chasse pas les nazis de son école ou qu’il fait l’assistant respiratoire pour sa maman dépressionnaire, il écrit un livre : 83 ans. C’est l’histoire d’un type qui ne peut pas mourir avant cet âge fatal, mais ce n’est pas du tout une histoire pour enfants, parce que de l’enfance, Simon Hoffman, il n’en a jamais eu. » Burlesque, émouvant, et parfaitement irrespectueux, Le complexe d’Hoffman décrit un monde où la bonté est rare et la sécurité absente.

Et vous, avez-vous repéré des titres auxquels vous ne résisterez pas ?

Rendez-vous le mois prochain pour la sélection de septembre !