#423 Les Graciées – Kiran Millwood Hargrave

Le résumé…

1617, Vardø, au nord du cercle polaire, en Norvège. Maren Magnusdatter, vingt ans, regarde depuis le village la violente tempête qui s’abat sur la mer. Quarante pêcheurs, dont son frère et son père, gisent sur les rochers en contrebas, noyés. Ce sont les hommes de Vardø qui ont été ainsi décimés, et les femmes vont désormais devoir assurer seules leur survie.
Trois ans plus tard, Absalom Cornet débarque d’Écosse. Cet homme sinistre y brûlait des sorcières. Il est accompagné de sa jeune épouse norvégienne, Ursa. Enivrée et terrifiée par l’autorité de son mari, elle se lie d’amitié avec Maren et découvre que les femmes peuvent être indépendantes. Absalom, lui, ne voit en Vardø qu’un endroit où Dieu n’a pas sa place, un endroit hanté par un puissant démon.

Mon avis…

Que le temps me manque depuis que je suis en thèse ! Mais j’arrive encore à grappiller quelques minutes, quelques heures, pour plonger dans des livres… Et quels livres ! L’autre jour, je me suis rendue en librairie afin de trouver un cadeau pour une amie… En demandant conseil au libraire, j’en ai presque fini par oublier que je ne venais pas pour moi, tant les romans qu’il me proposait semblaient passionnants. Mais il y en a un qui a attiré mon attention plus que tous les autres. C’était comme une évidence : je devais repartir avec, je devais le lire. Ce livre, le voici. Il s’intitule Les Graciées, et il a été écrit par Kiran Millwood Hargrave, écrivaine britannique. Il s’agit de son premier roman destiné à un public adulte… et cela ne se voit pas ! Ce que je veux dire par là, c’est que l’écriture est parfaitement maîtrisée, et il n’y a pas grand chose d’enfantin ou d’adolescent dans ces pages. C’est un récit parfaitement bien construit, malgré un démarrage un peu long. Ce sentiment de lenteur initiale s’explique probablement par l’attention portée par l’autrice à l’établissement du cadre, du contexte. Nous sommes dans un coin très reculé de la Norvège, en 1617. Un naufrage vient d’avoir lieu, sous les yeux des femmes du village : tous les hommes sont morts. En quelques secondes la plupart des femmes se retrouvent donc veuves, orphelines de père, ou vont devoir porter le deuil de leurs fils. Pendant plusieurs années, aucun homme ne s’installe au village. Les seuls qui viennent ne font que passer, pour le commerce surtout. Les femmes apprennent à vivre sans eux. Mais un jour, un délégué du seigneur est envoyé dans le village. Sa présence est d’abord énigmatique mais, très vite, la jeune Maren commence à sentir qu’il a apporté avec lui une terrible menace.

« Le pasteur peut bien penser que leur survie après la tempête tenait du miracle, Maren est désormais persuadée que Dieu se serait montré plus clément en noyant tout le village. »

Les Graciées de Kiran Millwood Hargrave n’est pas un récit qui décrit un village uni par la sororité. Les hommes, bien qu’absents, sont toujours là, comme des ombres ou des spectres. Ils hantent l’existence de ces femmes qui, contre toute attente, se divisent. Entre tradition et prétendu progrès, entre anciennes croyances et dogmes religieux, le village se déchire petit à petit, autour de l’homme providentiel pour certaines, dangereux pour d’autres : Absalom Cornet. A ses côtés, sa femme, qui ne connaît pas celui qu’on lui a fait épouser, qui ne sait rien de lui, qui ne connaît de lui que sa brutalité quand vient le moment de satisfaire ses désirs. Ursa, la jeune épouse, quitte le confort de sa vie citadine pour la dureté du quotidien dans un village de pêcheurs. Elle ne sait rien faire, se sent incapable d’accomplir tout ce qu’on attend d’elle. Mais elle trouve de l’aide, et surtout du réconfort, auprès de Maren, une jeune fille de son âge qui se sent inexplicablement attirée par le mystère de cette nouvelle venue. La relation entre les deux femmes est réellement ce que j’ai préféré. Dans cette histoire sombre et parfois violente, la douceur et la sincérité des liens qui les unissent sont particulièrement réconfortantes.

« Elle qui pensait avoir vu le pire depuis ce port, que rien ne pouvait égaler les horreurs de la tempête, comprend à présent combien il était naïf de croire que le mal ne pouvait provenir que du dehors. Depuis le départ, il était ici, parmi elles, perché sur deux jambes, répandant la rumeur de sa langue humaine. »

J’ai beaucoup plus aimé ce livre que je n’aurais pu l’imaginer. Quand j’ai fini Les Graciées, j’avais le sentiment d’avoir entre les mains le livre que je rêvais de lire. Les émotions que j’ai ressenties à sa lecture étaient si fortes, si belles. Ce roman a rencontré mon âme, comme une évidence. C’est un livre à la fois complexe par sa profondeur, par sa recherche, par son cadre atypique, et d’une simplicité vraie par les sentiments qu’il dépeint et provoque. Les Graciées secoue, bouleverse, et ne laissera personne indifférent. Vous l’avez compris, c’est un véritable coup de cœur. Inspiré d’une histoire vraie, ce livre n’en est que plus fort. Il m’a donné envie d’en savoir plus, de continuer mon exploration de ces lointaines contrées norvégiennes et de ces femmes du passé, qui nous rappellent les combats menés et les combats à venir. Un récit féministe et poétique, particulièrement éblouissant, émouvant, vibrant, le tout dans une atmosphère glaciale.

Carte d’identité du livre

Titre : Les Graciées
Autrice : Kiran Millwood Hargrave
Traductrice : Sarah Tardy
Éditeur : Robert Laffont
Date de parution : 20 août 2020

Coup de cœur

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