C’est le retour de l’interview en 5 questions et, à cette occasion, je vous propose de faire connaissance avec Stéphane Malandrin ! Il est l’auteur d’un premier roman édité chez Seuil, Le Mangeur de livres, paru au début de cette année 2019. Il s’est prêté au jeu et a relevé ce défi haut la main. Il revient avec nous sur son roman et ses sources d’inspiration… Bonne lecture !

Stéphane Malandrin © Hermance Triay
Le mangeur de livres a pour personnage principal un jeune garçon lisboète, Adar Cardoso, que rien ne prédisposait à tenir, un jour, un livre entre ses mains… Et pourtant, il devient un mangeur de livres, au sens propre, et se nourrir de codex est alors pour lui une obligation, une exigence vitale. Dites-nous, Stéphane Malandrin, comment en êtes-vous venu à écrire ce roman profondément métaphorique ?
Étonnamment, je voulais écrire un autre roman, qui se passait au XIXe siècle, en Hongrie, et qui parlait de Beethoven et de sa musique. Ce livre-là, je l’ai écrit pendant dix ans, il a gonflé, gonflé, gonflé, et à l’intérieur de cette intrigue est née une autre histoire, celle du Mangeur de livres, qui se présentait comme une sorte de mythe originel pour mon narrateur. C’était d’abord quelque chose de petit, mais les personnages du Mangeur de livres se sont émancipés, puis ils ont pris le pouvoir sur mon livre et ils ont fini par être si fort que j’ai dû prendre cette étrange décision : jeter les 400 pages qui se passaient en Hongrie au XIXe et garder les 150 qui se passaient à Lisbonne au XVe siècle. J’ai eu du mal à me séparer de ces 400 pages, vous l’imaginez, mais finalement j’ai compris que c’était logique, c’est maintenant le livre que je dois écrire, et qui sera comme le prolongement du Mangeur de livres, mais dans une autre époque.
Avant d’être romancier, vous étiez cinéaste… Quels sont les liens entre l’écriture d’un roman et d’un film ? Comment avez-vous utilisé cette expérience et cette autre passion dans votre livre ?
Pour faire simple je dirai qu’un romancier est une équipe de production, de tournage, de montage et de diffusion à lui tout seul. Le romancier fait le scénario, mais il fait aussi les décors, il fait la lumière, il fait la caméra, il fait les acteurs, il fait les figurants, il fait le montage des scènes, il est tout cela à la fois, ses phrases sont tout cela, et il est seul maître à bord, il décide de tout et il fait ce qu’il veut, un peu comme le peintre face à son tableau, sauf que l’écrivain utilise des phrases pour peindre, pas de la peinture. Au cinéma, on n’est jamais seul ; ou alors le film n’existe pas. Ce sont des démarches totalement différentes. Un scénario est fait pour être tourné, c’est-à-dire jeté, trahi, dépassé, oublié. Un roman est fait pour être aimé.
L’intertexte rabelaisien est évident et revendiqué, et vous avez choisi de l’imprégner dans votre œuvre jusque dans le style, qui se caractérise par sa gouaille, sa verve et sa truculence. Pourquoi était- ce important à vos yeux ?
En pourchassant un roman qui voulait capturer l’énergie vitale de la musique de Beethoven, j’ai rencontré l’énergie vitale des livres de Rabelais, et je me suis dit que j’allais commencé par ça. Flaubert dit que Rabelais est « la grande fontaine des lettres françaises ». Nous avons besoin de Rabelais parce qu’il est libre, il est insolent, il est drôle, il est resté le plus moderne de tous les écrivains… de même qu’en musique nous avons besoin de Beethoven, de sa vitalité, de sa modernité, des risques qu’il a pris pour enfreindre les règles, les dépasser, réinventer la forme même de la musique classique.
Néanmoins, Rabelais n’est sûrement pas votre seule influence ! Je n’ai pas pu m’empêcher, en vous lisant, de penser notamment à un auteur qui me tient personnellement beaucoup à cœur : Umberto Eco… Pouvez-vous nous parler de ces autres écrivain.e.s dont vous avez dévoré les livres et qui ont donné naissance à cet étonnant roman ?
Oui Eco, bien sûr, il est là, magnifique, érudit, drôle, mystérieux. J’ai beaucoup étudié Baudolino parce que c’est une œuvre magique sur une période qu’il s’amuse à revisiter, jouant avec l’histoire et le lecteur, qui ne connaît pas forcément tout, mais qui comprend la bonne compagnie qui le guide. Eco a écrit des livres généreux, des livres qui sont des festins, et je voulais offrir mon propre festin à mes lecteurs, pour célébrer cet art que j’aime par-dessus tout, l’art d’écrire. Après, comme je voulais faire un livre-fête, un livre-joie, un livre qui déborde, j’ai cherché d’autres « débordants », comme Beethoven, et je me suis retrouvé en excellentes compagnies : celle de Laurence Sterne (Tristram Shandy), celle de Cervantès, celle du Flaubert de Bouvard et Pécuchet, celle de Borgès, dont l’imagination est sans limite. Tous ces auteurs sont toujours sur mon bureau, devant moi. Ce sont également des auteurs qui, d’une façon ou d’une autre, célèbrent le livre. L’amour du livre. Je conçois la littérature comme l’endroit où l’on peut célébrer son amour de la langue — et pour moi qui suis né en France, l’amour de la langue française. C’est la raison pour laquelle j’écris. Pour dire que j’aime le français, j’aime cette langue, c’est le seul pays où j’habite réellement.
Votre roman peut sembler ardu pour certains lecteurs… Que diriez-vous de leur adresser quelques mots, afin de leur faire découvrir votre livre autrement ? Voici un espace de libre expression pour vous.
Merci pour cette délicate attention. Je leur dirai qu’il faut livre mon livre comme on lit de la poésie, à haute voix, sans chercher forcément à comprendre le sens des mots désuets et oubliés que j’utilise, car ils ne sont pas importants, c’est leur sonorité qui compte, l’existence de sonorités qu’on a oublié et que j’ai voulu faire revivre le temps d’une lecture. J’ai voulu offrir un texte qui se déguste. J’espère qu’ils viendront à mon banquet.

Stéphane Malandrin © Hermance Triay
Comment refuser une telle invitation ? Je tiens à remercier Stéphane Malandrin d’avoir répondu à ces questions parfois difficiles. J’espère que cette interview en 5 questions vous aura permis de découvrir cet auteur très sympathique, à l’avenir littéraire prometteur !
Bonne lecture, ou bon appétit !
Vous pouvez retrouver ma chronique du Mangeur de livres en cliquant sur la couverture du roman, ci-dessous.