Alerte parution : « Treize jours » de Roxane Gay

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Parfois, il me semble indispensable de vous signaler la sortie en poche de livres absolument exceptionnels.

Alors j’aimerais attirer votre attention sur Treize jours de Roxane Gay. Je vous l’avais chroniqué à sa sortie en 2017. Et c’était un véritable coup de cœur ! Retour sur la chronique :

Le résumé…

Fille de l’un des hommes les plus riches d’Haïti, Mireille Duval Jameson mène une vie confortable aux États-Unis. Mais alors qu’elle est en vacances à Port-au-Prince avec son mari Michael et leur bébé Christophe, Mireille est kidnappée. Ses ravisseurs réclament un million de dollars à son père. Pourtant, ce dernier refuse de payer la rançon, convaincu que toutes les femmes de sa famille seraient alors enlevées les unes après les autres. Pendant treize jours, Mireille vit un cauchemar. Son ravisseur, dit le commandant, est d’une cruauté sans nom. Comment survivre dans de telles conditions et, une fois libérée, comment surmonter le traumatisme, pardonner à son père et recréer une intimité avec son mari ?

Mon avis…

Préparez-vous à découvrir un livre choquant, violent et bouleversant… pour la bonne cause ! L’histoire de Mireille ne peut laisser personne indemne. Ce roman est un véritable chef d’œuvre d’émotions. Roxane Gay dépeint parfaitement la détresse humaine, l’égarement et la colère qu’une femme peut ressentir après avoir vécu les pires épreuves. Et, surtout, ce qui m’a le plus touchée, le vide qui habite un être brisé. C’est une sensation des plus difficiles à rendre, des plus complexes à décrire, et l’autrice a réussi cet exploit… Ce roman, bien qu’il s’agisse d’une fiction, est profondément réaliste dans la souffrance qu’il décrit, comme dans la richesse – et la bassesse – de l’être humain qu’il explore.

C’est un texte passionnant, que l’on dévore, que l’on ne lâche pas. Il prend aux tripes et absorbe totalement l’esprit jusqu’à l’ultime page. Chaque mot est un pas en avant dans la compréhension d’une violence sans nom. Clairement, ce livre secoue, ébranle, perturbe. Il laisse une profonde trace, peut réveiller quelques troubles – selon le vécu de chacun. Mais c’est un roman qui dit des choses essentielles, des choses brutales mais dont chacun devrait prendre conscience un jour. Malgré ce qu’il a bousculé en moi, ce livre m’a plu, pour la force qu’il dégage, l’émotion qu’il communique, l’espoir qu’il redonne, parfois. Roxane Gay donne une voix à des victimes, tout en explorant un territoire, Haïti, en mettant en évidence les problèmes qui secouent le monde, chaque jour. Elle montre jusqu’où la sensation d’être né au mauvais endroit, du mauvais côté de la route, peut mener. Jusqu’à quelles extrémités, quelle violence. En bref, Treize jours est un beau roman, dans tous les sens du terme, et une expérience vibrante, qui laisse une sensation étrange…

Découvrez aussi Hunger, le dernier livre de Roxane Gay.

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#359 Hunger – Roxane Gay

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Le résumé…

Si vous êtes une femme et que vous vivez aux États-Unis ou dans un pays occidental ; si vous êtes obsédée par l’idée de manger trop ou de ne pas manger assez (c’est plus rare) ; si vous utilisez des mots comme «craquer» et «péché mignon» – ces mots qui nous inspirent un sentiment de honte et destinés à mettre nos corps au pas, il est fort probable, et ce quelle que soit votre silhouette, que vous entretenez un rapport à la nourriture frisant le fétichisme.
À celles qui rentrent dans ce modèle de plus en plus étriqué, félicitations! Les vêtements sont coupés pour vous, les producteurs de chou kale vous adorent et l’opinion publique avec eux. Les autres risquent de rester dans l’ombre, à l’endroit précis où l’auteur de ce livre voulait se trouver.

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Roxane Gay

Mon avis…

Il y a maintenant plus d’un an, je vous ai parlé d’un roman, un véritable coup de coeur, ou plutôt un énorme choc : Treize jours. À cette occasion, j’ai découvert une autrice exceptionnelle, Roxane Gay. Aujourd’hui, je vous parle d’un autre de ses livres. Il ne s’agit pas d’un roman, attention, mais d’un essai biographique.

« J’aimerais tellement pouvoir écrire un livre sur une perte de poids triomphale, sur la façon dont j’aurais appris à mieux vivre avec mes démons. J’aimerais pouvoir écrire un livre qui raconte que je suis en paix, que je m’aime comme je suis, quelle que soit ma corpulence. À la place, j’ai écrit celui-ci, le plus difficile que j’aie jamais écrit, bien plus difficile que je n’aurais pu l’imaginer. Quand j’ai commencé Hunger, j’étais certaine que les mots me viendraient aussi facilement que d’habitude. Et que pouvait-il y avoir de plus facile que d’écrire sur le corps dans lequel j’avais vécu pendant plus de quarante ans ?« 

Roxane Gay, quand elle avait douze ans, a subi une agression sexuelle. Ce moment a été crucial dans sa vie, et le traumatisme a été profond. Par la suite, elle a ressenti le besoin de se protéger, de devenir invisible. La minceur était le contraire de ça, elle représentait la menace, elle attirait… Alors elle s’est réfugiée dans la nourriture, elle a grossi. Et ce qu’elle fait, dans Hunger, c’est nous raconter l’histoire de son corps, de ce qu’il est devenu après. Son corps, je n’ai pas l’impression qu’elle le déteste. C’est le sien, et elle l’apprécie et l’a accepté dans une certaine mesure, et elle nous explique tout cela.

« Il faut que vous sachiez que ma vie est coupée en deux, pas très proprement. Il y a l’avant et l’après. Avant que je prenne du poids. Après que j’ai pris du poids. Avant qu’on me viole. Après qu’on m’a violée.« 

Ce que j’ai beaucoup aimé dans ce livre, comme dans Treize jours, c’est le ton de l’autrice : franc, simple, efficace, sans la moindre fioriture. Elle dit les choses, cash, elle s’exprime, prend la parole. La voix qu’elle porte est forte. D’ailleurs, j’ai beaucoup aimé l’expression (et jeu de mot) de Roxane Gay, qui se définit elle-même comme « une femme forte ». Oui, l’humour a aussi sa place ici, mais c’est avant tout un récit très sincère et émouvant.

« J’ai si souvent voulu leur dire que quelque chose n’allait pas, que j’étais en train de mourir à l’intérieur, mais je ne trouvais pas les mots. »

C’est un récit touchant, et aucune phrase ne laisse indifférent. C’est pourquoi j’ai tenu à en mettre quelques-unes dans cet article, pour que vous compreniez la puissance de cet essai. Il est bouleversant, étonnant, et surtout détonnant. C’est une plongée dans l’intériorité de l’autrice, en toute simplicité et honnêteté, mais aussi avec cette brutalité inhérente à son vécu.

« Je suis loin d’être aussi courageuse que ce que les gens croient. En tant qu’auteure, armée de mots, je peux faire tout ce que je veux, mais quand je dois emmener mon corps dans le monde, le courage me manque. »

Ce que j’ai apprécié dans cet essai, c’est aussi les coups de gueule, complétement justifiés, de Roxane Gay. Elle épingle par exemple les magasins de fringues pour le fait qu’ils ignorent toute une part de la population. Elle montre l’exclusion, le rejet, l’indifférence, le mépris… Pour autant, il ne faut pas croire qu’elle s’en prend aux personnes minces ou quoi que ce soit, pas du tout ! Elle offre simplement une voix aux invisibles, à ceux (et surtout à celles) qui se sentent hors de la société, qui occupe beaucoup de place et pourtant n’en ont aucune. Elle ose exprimer sa colère, et ça j’aime beaucoup !

« Parfois, des personnes qui croient bien faire, je pense, me disent que je ne suis pas grosse. Ils lancent des choses comme : « Ne dis pas ça de toi », parce que pour eux « grosse », c’est quelque chose de honteux, d’insultant, alors que pour moi c’est la réalité de mon corps. Quand j’emploie ce mot, je ne suis pas en train de m’insulter. Je me décris.« 

Ce livre, cet essai, permet une prise de conscience, il invite à la réflexion, et ça fait beaucoup de bien. L’autrice aborde beaucoup de sujets : agressions sexuelles, féminisme, grossophobie, et tant d’autres. Non, ce n’est pas un livre déprimant, bien au contraire. C’est un livre qui déborde de vérité, mais qui n’est pas non plus feel-good, évidemment. Mais il nous invite à mieux nous connaître, à écouter notre corps et notre esprit… Ce que je retire de cette lecture, c’est vraiment du positif. J’ai le sentiment qu’un petit quelque chose à changer en moi, et c’est finalement ce qu’on attend d’un bon livre !

« Plus vous êtes gros, plus votre monde rétrécit. »

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Carte d’identité du livre

Titre : Hunger
Autrice : Roxane Gay
Traducteur : Santiago Artozqui
Éditeur : Denoël
Date de parution : 10 janvier 2019

5 étoiles

Merci aux éditions Denoël pour cette lecture.

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#350 Le malheur du bas – Inès Bayard

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Le résumé…

« Au cœur de la nuit, face au mur qu’elle regardait autrefois, bousculée par le plaisir, le malheur du bas lui apparaît telle la revanche du destin sur les vies jugées trop simples. »

Dans ce premier roman suffoquant, Inès Bayard dissèque la vie conjugale d’une jeune femme à travers le prisme du viol. Un récit remarquablement dérangeant.

Mon avis…

Voici un autre roman de la rentrée littéraire 2018, encore un, et pas des moindres. Le malheur du bas, on en a tous et toutes entendu parler… Et, parfois, ce n’est pas forcément une bonne chose. A en entendre trop, on en attend beaucoup… Mais, heureusement, j’ai vite oublié tous ces échos car le roman m’a absorbée. Oubliée la comparaison purement structurelle avec Chanson douce de Leïla Slimani (que j’avais par ailleurs apprécié). Oubliée l’idée que « ça parle d’un viol ». Car c’est bien plus que ça. C’est un texte profond, bouleversant, qui raconte la vie d’une femme qu’une agression sexuelle égare. Elle n’est pas seulement perdue dans cette société qui ne l’empêche pas de se détruire, elle est perdue en elle-même. On n’est pas forcément dans un texte qui a pour vocation de nous montrer la réaction habituelle d’une femme victime de viol, on est ici face à un destin exceptionnel, car il sort du commun, un destin fait de violence et de destruction. Inès Bayard nous propose un récit dont on connaît déjà la fin, il n’y a aucune surprise sur ce plan. Tout l’intérêt est dans le processus : comment Marie va-t-elle en arriver à de tels extrêmes ? L’écriture, incisive et directe, ne permet au lecteur aucun détour ou recours. Emporté dans un tourbillon torturé, il n’a plus d’échappatoires. Et, pour être honnête, je crois que l’on n’a jamais envie de refermer ce livre. Malgré son intensité, sa brutalité, il nous accroche complètement. Je ne peux pas en dire beaucoup plus, il faut lire ce livre pour comprendre. Sans être un coup de cœur comme Règles douloureuses, il s’agit d’un texte fort, à la fois exceptionnel et utile, qui nous révèle un talent très prometteur, celui d’Inès Bayard. Sujet d’actualité s’il en est, sujet millénaire même, les violences faites aux femmes – qui dépassent le viol, y compris dans ce roman – sont enfin abordées, et c’est une très bonne chose. C’est justement ce que j’ai particulièrement apprécié dans Le malheur du bas : la représentation du caractère divers de ces violences, qui peuvent aussi bien être sexuelles que morales, sociales, professionnelles ou gynécologiques… Vous l’aurez compris, c’est un roman éprouvant mais incontournable en cette rentrée littéraire !

Carte d’identité du livre

Titre : Le malheur du bas
Autrice : Inès Bayard
Éditeur : Albin Michel
Date de parution : 22 août 2018

5 étoiles

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#343 Règles douloureuses – Kopano Matlwa

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Le résumé…

Nous sommes en 2015, en Afrique du Sud. Des années durant, Masechaba a souffert de douleurs chroniques liées à une endométriose. Le sang a forgé son caractère, non seulement il a fait d’elle une personne solitaire, presque craintive, mais il l’a aussi poussé à devenir médecin. Quand débute le roman, elle est interne dans un hôpital. Dans le flux ininterrompu des patients, elle s’interroge sur sa capacité à les aimer tous, à leur donner toutes ses forces, tout son dévouement. Elle doute souvent, à l’opposé de sa meilleure amie, son modèle qui bien souvent pourtant l’ignore, voire la rudoie, Nyasha. Nyasha est zimbabwéenne, or l’Afrique du Sud vit alors une époque de racisme brutal.
Un jour, après avoir été accusée par son amie de ne pas avoir pris assez soin d’un patient étranger blessé lors d’émeutes xénophobes, elle décide de publier une pétition demandant le retour à la tolérance et à des valeurs humanistes.
En retour, elle sera violée par trois hommes, pour lui apprendre à rester à sa place.

Mon avis…

Dans une rentrée littéraire, il y a toujours un trésor, caché au milieu de la masse… Je sentais avant même de lire ce roman qu’il pouvait être cette petite perle. Et je ne m’y suis pas trompée, je crois. Il est de ces lectures qui laissent un goût à la fois doux et amer… Après avoir refermé ce livre, comme il est difficile de passer à un autre… Afrique du Sud, 2015, Masechaba souffre d’endométriose. Sa vie est une constante course d’obstacles. Malgré toutes les difficultés, les épreuves, elle a réussi à devenir médecin. Loin de laisser ses propres douleurs masquer celles du monde qui l’entoure, elle constate la prégnance du racisme, la persistance d’une forme d’apartheid qui se manifeste par une méfiance envers les étrangers… puis des violences qui vont profondément la choquer… Elle décide alors de mener un combat qui va la briser.

Règles douloureuses de Kopano Matlwa est un roman fort, puissant, révoltant, qui nous retourne l’âme aussi sûrement qu’une tempête. Endométriose, racisme, xénophobie, viol, mort, survie… Les sujets les plus durs sont présents. Tout cela amené avec la tendresse mêlée d’espoir d’une autrice talentueuse. Un choc, une véritable et belle révélation, un roman à la profondeur et à la perfection insondable ! C’est un livre actuel, moderne, dans lequel fleurit une douce révolte là où plus rien de bon ne semblait pouvoir éclore… Exceptionnel.

Carte d’identité du livre

Titre : Règles douloureuses
Autrice : Kopano Matlwa
Traductrice : Camille Paul
Éditeur : Le Serpent à Plumes
Date de parution : 30 août 2018

5 étoiles

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Coup de cœur

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#287 King Kong Théorie – Virginie Despentes

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Le résumé…

« J’écris de chez les moches, pour les moches, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf, aussi bien que pour les hommes qui n’ont pas envie d’être protecteurs, ceux qui voudraient l’être mais ne savent pas s’y prendre, ceux qui ne sont pas ambitieux, ni compétitifs, ni bien membrés. Parce que l’idéal de la femme blanche séduisante qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, je crois bien qu’il n’existe pas. » En racontant pour la première fois comment elle est devenue Virginie Despentes, l’auteur de Baise-moi conteste les discours bien-pensants sur le viol, la prostitution, la pornographie. Manifeste pour un nouveau féminisme.

Mon avis…

Despentes, c’est Vernon Subutex, c’est Baise-moi, mais c’est aussi King Kong Théorie. Un peu moins connu que ses romans, ce livre est un manifeste, un essai loin d’être chiant, un bouquin sans filtre, dans lequel la voix de Despentes résonne avec vivacité. Ce livre, c’est l’occasion de parler de sujets tabous. J’aimerais dire que ces tabous sont du passé, et pourtant, ce n’est pas le cas. Mais, chez Despentes, ces sujets ont droit de cité : prostitution et viol ont leur place dans ces lignes. Ce texte est rafraîchissant, vivifiant. Pourquoi ? Parce que c’est un trésor de franchise et de sincérité. Despentes prend la parole, pour elle mais aussi pour toutes les femmes. Elle ne prend aucune pincette. Oui, on a l’impression qu’elle gueule, qu’elle nous engueule, c’est vrai. Mais qu’est-ce que ça fait du bien ! C’est jouissif de vérité, c’est l’expression d’un post-féminisme terriblement actuel, qui met des mots sur ce que nous vivons, sur notre société hypocrite. Despentes ose dire ce que nous taisons en permanence. Elle parle du haut de son expérience, elle nous secoue, avec un style direct et incomparable. C’est drôle, c’est choquant parfois (mais qu’est-ce qu’on s’en fout, d’ailleurs), c’est du Despentes, et c’est du vrai. Beauvoir, Woolf, Cixous, elles sont fondatrices, incontournables, oui. Mais, Despentes, c’est aujourd’hui, c’est le présent et l’avenir. C’est notre monde, notre société, nos ressentis, notre réalité, à nous, femmes du XXIe siècle.

Je suis furieuse contre une société qui m’a éduquée sans jamais m’apprendre à blesser un homme s’il m’écarte les cuisses de force, alors que cette même société m’a inculqué l’idée que c’était un crime dont je ne devais jamais me remettre.

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